Quelques mots sur la créativité et l’insight

On les rapproche souvent des techniques qualitatives, mais elles ne procèdent pas du même mode de fonctionnement. Là où la plupart des approches qualitatives inventorient, extraient la matière pour l'analyser, les techniques créatives opèrent un court-circuit de cette analyse. Côté consommateur, là où on l'exhorte à exprimer sa pensée et ses ressentis dans les approches qualitatives, on va lui demander de lâcher prise avec le réel avec des approches spécifiques.


Ainsi tant du côté du professionnel que du consommateur les exercices qualitatifs et créatifs purs sont de nature assez différente. Cette vision ne fait pas l'unanimité, surtout parmi les qualitativistes les plus traditionnels, qui considèrent qu'un exercice projectif révèle à lui seul des pistes créatives.

Faire lâcher prise avec le réel est un exercice tout aussi délicat pour le professionnel que pour le consommateur. Un certain nombre d'étapes sont nécessaires durant le processus créatif. Nous allons ce que l'on peut considérer comme la version longue du processus.


L'imprégnation : l'étape d'inspiration
Le marketeur a pressenti une opportunité, sans pour autant disposer d'une réponse marketing précise. Pour l'exercice créatif, il va devoir, sans trop en dire, suggérer l'univers qu'il souhaite travailler, par une atmosphère, un milieu, une occasion de consommation. Sans intellectualiser le besoin pressenti du consommateur, on va chercher en quelque sorte à mettre le consommateur participant au groupe créatif dans un certain état d'esprit et à le sensibiliser à une atmosphère particulière. On ne le guide bien sûr pas vers telle ou telle piste. Uniquement des atmosphères. Lectures, visuels, films, extraits sonores, tout ce qui peut permettre de mettre en éveil les sens du consommateur autour d'une certaine ambiance va être mobilisé. Ce « matériel » d'imprégnation peut être transmis avant la session du groupe ou pendant si le format le permet. Tout dépend si l'on attend une forme de maturation de cette imprégnation ou un impact instantané.


La rupture avec le réel : l'étape de découverte des autres et de soi.
Le processus créatif mental se heurte souvent aux références que chacun d'entre nous a avec son quotidien et avec ses propres modes de raisonnement. C'est un peu comme prendre chaque jour le même itinéraire et être sommé brutalement d'être « créatif » dans son orientation. L'épreuve de rupture n'est pas triviale. Un exercice réellement créatif peut être conduit si les participants parviennent à se libérer de ce qui va entraver l'imagination : les réflexes purement rationnels, la logique, les habitudes mais aussi l'inhibition et la peur d'être jugé. La phase de rupture avec le réel consiste en une série dexercices collectifs. L'objectif est simple : lâcher prise, se détendre, s'amuser, se sentir bien parmi cette communauté de consommateurs qui vont devoir travailler ensemble durant la session. C'est pour l'animateur professionnel une phase délicate car il doit parvenir à ce que chacun joue le jeu, « se lâche », sans se sentir observé. Le lieu a donc également son importance et doit offrir confort, lumière et isolement. Notons que si l'approche concerne les mêmes employés d'une entreprise (dans la perspective d'une créativité autour d'un projet corporate), les rapports hiérarchiques des participants peuvent constituer un frein à la rupture avec le réel. Mais réussie, cette rupture avec le réel va ouvrir la porte à un formidable jaillissement didées.


La divergence : létape ludique de jaillissement
Le professionnel va alors demander à chacun de proposer des sentiments, des impression, voire des idées sur le sujet dont il est question (qui est directement lié au matériel dimprégnation qui leur aura éventuellement été donné). Ces pensées ne doivent pas être argumentées/rationalisées, simplement « exprimées » de la façon la plus spontanée possible. Des règles élémentaires de bienséance prévalent : on ninterrompt pas, on ne critique pas, on ne commente pas, tout au plus : on encourage son voisin. Chacun va donc durant différents exercices créatifs exprimer ses bribes didées, qui prennent corps peu à peu. Ces exercices sont nombreux et dirigés par lanimateur : collage, peinture, bricolage, construction mentale, rêve, histoire, incarnation narrée, etc, la panoplie pour permettre aux individus du groupe ou à des sous-groupes de sexprimer est sans autre limite que l'agilité et la culture de l'animateur.


L'émergence : le moment de lumière
Pendant la phase de divergence, une part importante de ce qui est dit, montré par les consommateurs procède du tâtonnement, mais à un moment, l'animateur doit pouvoir repérer ce que Guy Aznar appelle l'émergence, c'est-à-dire le moment où les individus parviennent à être réellement en phase avec l'exercice et à exprimer de réelles idées créatives. C'est naturellement une appréciation qui peut apparaître partiale, mais qui pourrait se résumer par cette pensée de l'animateur « je pense que lon commence à tenir d'excellentes pistes didées ». Sentiment que l'animateur garde bien sûr pour lui. Le talent de l'animateur consiste alors à maintenir le groupe le plus longtemps possible dans cet état de fertilité et de faire exprimer tout ce que le groupe peut livrer didées créatives. Nous sommes néanmoins toujours dans une partie de divergence, on ne rationalise pas encore. Dès lors que le matériel obtenu semble suffisamment riche, le temps est venu de revenir au réel.


La convergence : l'étape studieuse
Retour aux réalités et au brief de lentreprise. Il sagit alors de structurer ses idées et de les rapprocher avec la problématique du client. De les ordonner par catégorie, et dessayer de les hiérarchiser, d'en laisser certaines de côté. En d'autres termes, d'inciter le groupe à les passer au tamis de la raison. Ces idées structurées et dûment sélectionnées vont pouvoir être décrites sous forme d'insights et de « concepts ». C'est ce matériel qui va être restitué au marketeur afin quil puisse lui-même y retravailler. C'est à ce stade de rédaction de concept que les participants vont devoir rédiger à posteriori les insights correspondant à l'offre qu'ils ont imaginée.
L'ensemble de cette session tient en général sur deux journées. Deux journées extrêmement denses. On aura énormément sollicité les consommateurs et l'animateur. C'est au sens théâtral et sportif une réelle performance pour chacun. Une expérience prenante et marquante.
Dans la majeure partie des cas, le marketeur est présent. Il est le problem owner, c'est-à-dire celui qui évalue durant le processus créatif si l'on reste dans le cadre des objectifs qu'il s'est donné. C'est une posture difficile à tenir, car la tentation est parfois grande d'intervenir directement pour demander des précisions au consommateur sur ce qu'il entend par telle ou telle idée, de rejeter certaines idées au moment où elles sont émises. Et ce serait là une erreur fondamentale, car elle briserait le délicat équilibre créatif. C'est toujours grâce à un dialogue discret avec l'animateur que déventuelles consignes dorientation sont données. A chacun son métier

Les outputs

  • Les outputs des approches créatives au service de l'innovation produit sont multiples si l'on fait correctement travailler les consommateurs associés :
  • L'idée créative,
  • Le ou les insights qui en découlent (un travail que l'on fait donc a posteriori),
  • Le concept d'offre (comprenant linsight, le bénéfice et la RTB),


Compte tenu du caractère rationnel de ces outputs, c'est bien en phase de convergence qu'ils sont produits et non en phase de divergence (où l'insight viendrait plus brider que favoriser la créativité).
Pour le marketeur qui se prête vraiment au jeu, c'est une source d'inspiration inépuisable, dont il tirera souvent quelques produits ou services innovant qui vont assoir sa réputation de visionnaire dans l'entreprise. De nombreux grands succès commerciaux sont issus de ce type d'approches. Il est néanmoins recommandé d'évaluer la puissance des insights générés (voir insight tracker) ainsi que les profils de consommateurs associés, car l'exercice créatif ne peut aider à évaluer la volumétrie du marché correspondant.



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